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WEST COAST FLAVA, LE SON G-FUNK d'Aurelien Burlets

  • Publié par Funky Thug
  • lun 14 mars 16 - 23:56
  • Genre: rap

Soleil du Pacifique et désinvolture californienne sont au programme de cette visite guidée de la Cité dans Anges où s’entremêlent bandanas rouges et bleus sur des morceaux G-funk dédiés à la ride. Sortez les Dickies et les Chuck Taylor !

Le Gangsta Funk c’est le son de Los Angeles. Il doit absolument tout à la mégalopole. Nul part ailleurs n’aurait pu éclore cette identité musicale dont l’ADN puise ses racines dans la démographie, la géographie et l’architecture de la ville. Cette empreinte sonore si particulière se caractérise par un sens de la mélodie qui jusque-là n’avait jamais été exploité de la sorte dans le Hip Hop : basses profondes, nappes de synthé, airs de flûte, sirènes, refrains féminins chantés… le tout sur fond de samples des Parliaments. Une atmosphère qui contraste singulièrement avec les thèmes déclamés par ces rappeurs aux flows nonchalants : misogynie exacerbée, apologie de la violence, nihilisme marchand…

Long Beach, Compton, Inglewood, Crenshaw, Watts…

 

La ville, contrairement à New York, est bâtie à l’horizontale. Les kilomètres de route qui s’entremêlent en font la cité de la voiture par excellence. La conduite se fait fenêtres ouverte afin de profiter d’un climat doucereux toute l’année – voir Let Me Ride. Des routes spacieuses, pas de créneaux, l’immensité de l’océan et des espaces désertiques à quelques encablures… la notion de ride prend ici tout son sens. Aller d’un point A à un point B importe autant que de faire entendre sa musique en se délectant des plaisirs du trajet. Les instrus produites par les maîtres des studios californiens répondent à cet impératif : alimenter les postes. S’ajoute à cela le fait que les excès de vitesse sont très sévèrement réprimandés. Customiser sa caisse ne consiste donc pas à affoler les compteurs de vitesse mais à faire remarquer son engin, à se faire remarque – d’où l’apparition des suspensions hydrauliques, les low-riders. Enfin, L.A. ne possédant pas de réel centre-ville, les déplacements se font au gré des house-party, la voiture est donc indispensable à la vie sociale.

 

 

L’histoire de la Californie est intimement liée à celle du Mexique. La communauté hispanique est démographiquement la deuxième de l’état. Son influence culturelle est prégnante. Ainsi le G-funk va énormément s’inspirer, voire complètement piquer de nombreux codes initiés par les latinos : des chemises à carreaux aux pantalons de travail Dickies en passant par les ranflas – nom espagnol des low riders. La juxtaposition des communautés permet ce genre d’échanges culturels. Elle s’accompagne dans le même temps d’une forte ghettoïsation et d’un esprit tribal aigu. Dans ce contexte  émergent mécaniquement des violences ethniques. Au sein même de chaque communauté la sectorisation est rigide.

Le style de vie des gangs rencontre l’industrie musicale

Le gangbanging s’inscrit dans cette lignée en reproduisant sans ambages ce communautarisme. La rivalité entre Crips et Pyrus structurent les quartiers. Le bleu et le rouge déterminent l’esthétique des zones d’habitation. Conséquence logique, on retrouve ces codes chez les artistes : C-Walk dans les vidéos, signes de la main pour marquer une appartenance, style vestimentaire. Suge Knight est allé jusqu’à décalquer la hiérarchie et les « valeurs » des gangs au sein de son label. Ce n’est pas un hasard si au sein deDeath Row, de nombreux membres étaient unis par les liens du sang : Snoop avec RBX, Daz Dillinger, Nate Dogg, Butch Cassidy; Dre avec Warren G, etc. Cette promiscuité est peut-être à l’origine de la cohésion sonore des albums malgré leurs innombrablesfeaturings.

Les reliquats d’un système patriarcal se confrontent à l’explosion des familles (mères célibataires, grands-parents qui occupent de facto les responsabilités parentales…). C’est ce paradoxe explosif qui berce la jeunesse des ghettosEn résulte une virilité dégénérée dont les gangs sont l’expression. L’occupation de l’espace public par les hommes n’est pas sans conséquences sur les femmes et leur représentation. Deux options s’offrent à elle. Abandonner leur part de féminité et singer les comportements masculins – on parle alors de hood rats – ou alors se cantonner exclusivement au rôle de « biaaaatch ». Ce rôle d’objets du désir n’est pas nécessairement dégradant mais il est alors fantasmé à son paroxysme. Gardons à l’esprit que l’imaginaire de cesyoungsters est alimenté par de longues journées passées entre couilles et par un rapport alambiqué à la mère. Entre les baby mamas, la multiplication des demi-frères, la misère sociale et les problèmes sanitaires, on comprend vite pourquoi à travers leur haine affichée des femmes les gangsta rappeurs s’adressent d’une certaine façon à leurs mères. [Snoop et tous ses cousins ont surement leur mot à dire à ce sujet].

Bitches ain’t shit but hoes and trick

 

Les angelenos sont réputés pour leur coolitude et leur décontraction. Avec 320 jours de soleil annuels, le climat de la Californie joue pleinement son rôle. Tout comme la structure horizontale de la ville. Entasser les gens en hauteur c’est les pousser symboliquement à se marcher dessus. La hiérarchie plate donne l’apparence d’une plus grande quiétude. On retrouve cet état d’esprit chez les rappeurs qui malgré la crudité de leurs récits ne se départissent pas de leurs flow emprunts de désinvolture, surnommés le lazy flow. Contrairement à un son new new-yorkais brut et débarrassé de toute fioriture (Mobb Deep, Wu Tang) ou imprégné des valeurs du Hip Hop et de son optimisme (A Tribe Called Quest), les rappeurs du Golden State donnent le sentiment de se foutre de tout (de la morale, des lois, des codes de l’industrie,…), sauf peut-être de leur prochaine soirée.

Dernière pierre à l’édifice : l’esthétisme hollywoodien, qui se charge de transformer une bande de zonards désargentés et acculturés en hérauts. N’oublions pas que malgré son indigence le ghetto n’est jamais très loin d’Hollywood. De Lyor Cohen à Jerry Heller les connections (récupération ?) entre kids défavorisés et cadres de l’entertainment ne constituent pas des faits isolés. Hollywood a toujours exercé un rôle ambigu vis à vis du gangstérisme, recouvrant d’une couche de sophistication et de glamourles pontes des organisations criminelles. Organisations qui rappelons-le fonctionnent sur des racines rurales. [À ce titre la lecture deLa Mafia à Hollywod de Tim Adler est vivement conseillée NDLR]

To a kid lookin’ up to me/Life ain’t nothin but bitches and money

 

Cette irresponsabilité du discours doublée d’une fascination pour le gangstérisme va forger les canons esthétiques et commerciaux du rap de masse pour les 20 années suivantes. C’est le début de la course au plus gros casier judiciaire. Le procès de Snoop pour drive by shooting en 1996 fait bien pâle figure en comparaison des états de fait des rappeurs du moment : Gucci Name (coupable de meurtre), French Montana (une balle dans la tête) ou Maino (10 ans pour kidnapping). Le triptyque money-weed-pussydébarrasse définitivement le rap de ses oripeaux de conscience politique. En poussant un peu l’analyse, on peut voir que le G-funk aura été pour le Hip Hop ce que la Funk a été à la Soul : un moyen de transformer un mouvement populaire en musique standardisée, calibrée pour la consommation de masse.

Deux phénomènes se cristallisent définitivement avec l’avènement du mouvement. Les ados blancs des classes moyennes et huppées deviennent les premiers consommateurs de Hip Hop. Après tout cette musique représente tout ce que leurs parents et leur vie future leur interdit, e gangsta rap leur servant d’exutoire en quelque sorte. La mise en scène de la rébellion noire constitue une valeur sure commercialement parlant. En parallèle, une partie de la communauté afro-américaine ne se reconnait désormais plus dans cette musique qui est devenue au fil du temps une caricature cinématographiée de la vie des habitants des quartiers défavorisés.

I promise I smoke chronic til the day that I die

 

Après avoir outrageusement dominé les ventes, le son G-funk déserte assez rapidement la scène musicale. Le phénomène n’aura en tout et pour tout durer que le temps d’une salve de premiers albums mémorables. Si une partie de ses acteurs disparaissent (Tupac, Suge Knight, Easy-E, The D.O.C…) d’autres après une courte traversée du désert poursuivent leur ascension vers les sommets (Snoop, Dre, Ice Cube…). Tous feront évoluer leur style musical. Le catalogue de samples de Georges Clinton n’est pas inépuisable. Vingt après après que reste-il du son californien ? Une poignée de classiques (The ChronicDoggystyleDogg FoodRegulate…G Funk Era…), la voix chaude des refrains de Nate Dogg, les souvenirs de la guerre des Côtes, des feuilles de cana sur des t-shirts, la nostalgie d’un paquet de trentenaires qui ont découvert le rap via les mélodies chaudes du son West Side, la légende Death Row… Désormais seul sur ce créneau le rap chicano poursuit dans cette veine, sans changer d’un iota la formule.

 

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