Susan Fast est professeure au département d'anglais et des recherches culturelles à l'Université McMaster à Hamilton dans la province de l'Ontario, au Canada. Ces travaux de recherches s'intéressent au genre et à la sexualité, à la race et à l’ethnicité, à la construction du soi et de l'autre, à la performance et la performativité, à la violence et aux conflits géopolitiques dans la musique populaire contemporaine. Elle est l'auteur de In the Houses Of The Holy : Led Zeppelin And The Power Of Rock Music.
En s'appuyant sur ses études académiques, Fast a choisi d'écrire sur l'album Dangerous de Michael Jackson. Découvrez ci-dessous pourquoi elle a souhaité graviter autour de Dangerous plutôt qu'autour d'autres albums plus populaires de Michael Jackson, et ce qu'elle pense qui manque dans le travail de recherche sur cet artiste.
Qu'est ce qui vous amené à écrire tout particulièrement sur cet album ?
Cela fait maintenant des années que je voulais écrire sur cet album et à chaque fois que j'y ai pensé, j'ai imaginé que ce serait dans un livre de la collection 33⅓ [33 ⅓ (trente-trois, un tiers) est une série de livres écrits sur des albums de musique, mettant en vedette un auteur par album. Publié par Bloomsbury Publishing, la série a été fondée par David Barker, et est éditée par Ally Jane Grossan. Le titre de la série se réfère à la vitesse (33 ⅓ tours par minute) d'un album, NdT, Google.com].
C'est le bon médium pour ce projet. Dangerous m'apparaît comme un album charnière dans la carrière de Michael Jackson - je sais que la plupart pointeraient Thriller comme son apogée musicale (bien que pour d'autres, cet honneur revient à Off The Wall) ; Bad était le premier album pour lequel il a engagé une tournée en tant qu'artiste solo, c'est donc une étape importante, mais certains pensent que Bad n'était pas un aussi bon album que Thriller. Je pense que la plupart des personnes pensent qu'à l'époque où Dangerous est sorti, le meilleur travail de Jackson était derrière lui, mais je ne suis pas d'accord. Ce qui fait que Dangerous m'intrigue à ce point, c'est que Jackson, dans cet album, semble finalement incarner l'adulte. Il aborde des sujets graves, dont l'amour et la concupiscence ; il nous offre à voir un portrait plus sombre, un regard sur le monde moins emprunt d'un optimisme enfantin, et semble souvent être à la limite d'une rupture émotionnelle. Il le fait de manière moins théâtrale - ce qui ne signifie pas avec moins d'excès musical - que ne le donnent à voir ses précédents albums.
Un article au sujet de cet album, écrit par Jon Dolan, l'a comparé à Nevermind, de Nirvana. Dolan a écrit : "La terreur, la dépression et la conception du bien et du mal sous le spectre de l'enfant blessé chez Jackson ont beaucoup en commun avec Kurt Cobain et personne n'a pris le temps de le remarquer."
Pendant que nous faisions d’ambitieuses déclarations sur ce disque – des afficionados de rock rythmique (et je me compte parmi eux, sic) – j’ai longtemps caressé l’idée que Dangerous était le Achtung Baby de Jackson, qui présente de bien des manières un même spleen, une fébrile plongée dans la brèche. Ce ne sont pas seulement les paroles qui mettent Jackson dans cette perspective, mais une nouvelle manière d’utiliser sa voix, l’utilisation de styles musicaux nouveaux, parmi lesquels le hip-hop et une allégeance plus prononcée vis-à-vis de la musique black, passée et présente, que sur ses précédents albums. Je vois Dangerous comme un album conceptuel dans lequel Jackson explore des idées sur le postmodernisme, sur l’amour, la sexualité, la spiritualité et le futur. Avoir l’opportunité d’explorer cet album sous-estimé dans une étude livresque est très excitant.
Vers qui allez-vous vous tourner au cours du processus d’écriture ? Pourquoi ?
Mon but est d’offrir une lecture minutieuse de l’album ; de suggérer qu’une manière de le comprendre est de le rattacher à l’image publique de Jackson et au moment culturel dans lequel l’album a été produit. Vu que si peu d’analyses critiques de ce type sur Jackson ont vu le jour, j’ai vraiment envie de me concentrer [sur ce projet] à la manière de l’analyse, s'appuyant largement sur le contexte culturel, écrite par Carl Wilson dans son 33⅓, au sujet de Céline Dion. C’est mon livre préféré de la collection. Cependant, inévitablement, lorsque j’écris, je me retrouve confrontée à des questionnements auxquels seuls les musiciens ou des personnes rattachées au processus [de création] peuvent répondre. C’est arrivé l’an dernier lorsque j’écrivais un article sur Jackson pour un hors-série du Popular Music and Society : une partie de l’essai portait sur sa guitariste principale Jennifer Batten, que j’ai finalement contactée de manière à confirmer certains faits, dont celui de savoir si c’était bien MJ qui avait designé ses costumes délirants (la réponse était « oui »). Donc ça peut se reproduire ici. Joe Vogel a interrogé un grand nombre de personnes avec lesquelles Jackson a travaillé de très près pour pouvoir écrire son livre Man in the Music, et l’ingénieur du son de longue date de Jackson, Bruce Swedien, a publié un livre il y a quelques années dans lequel il détaille un grand nombre d’informations techniques intéressantes sur les sessions d’enregistrement ; beaucoup a été fait de ce côté-là.
Décrivez-nous le processus à venir et le ton de votre 33⅓. Avez-vous eu des surprises? Avez-vous commencé avec une idée et finalement, vous êtes retrouvée avec une autre?
Ce qui était super de le fait d'écrire à ce sujet est que cela m'a permis de concentrer les idées qui flottaient sans but dans ma tête depuis longtemps. Je n'avais jamais pensé à Dangerous comme un album-concept avant, mais pendant que j’écrivais le sujet, pensant à l'organisation des chapitres, c’est apparu clairement. C'était aussi un article qu’Alan Light a fait dans le magazine Rolling Stone qui m'a dirigé vers cette possibilité. Il a critiqué l'ordre des titres de l'album, en commentant qu'il n'aimait pas la façon dont Jackson avait "regroupé" des chansons similaires. Il me vint soudain que les "regroupements" n’avaient de sens que, si au lieu de leur résister, ou de les trouver maladroits, on les adoptait. Ces groupes nous donnent réellement un arc narratif fascinant (vous aurez juste à lire le livre pour voir ce que je pense de l'arc !).
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