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Le jour où Billie Jean a retenti dans Vice City

  • Publié par Funky Thug
  • lun 19 juin 17 - 17:23
  • Genre: rnb

Article écrit par Victor Moisan de GAMEKULT

Point de sauvegarde propose de revenir toutes les deux semaines sur certaines séquences marquantes de jeux vidéo contemporains ou classiques. Cette chronique ne prétend pas donner des cours d'histoire mais s'intéresse à montrer comment, dans chacun de ces moments mémorables, le jeu invente des solutions pour donner du sens à ce qu'il raconte. Forte de budgets colossaux, la série Grand Theft Auto fait rarement dans la retenue quand il s'agit de mettre en scène sa grande satire américaine, si bien que chaque joueur pourrait citer ses propres moments-clés, qu'ils soient délirants, choquants ou éblouissants. Mais c'est notamment par son utilisation de la musique que le jeu de Rockstar a su nous marquer de son empreinte inimitable. Et cela commence avec le Roi de la Pop.

But the Kid is not my son

Réussir son entrée en matière n'est jamais chose aisée, mais dans GTA : Vice City, il suffit d'un instant pour que nous soyons conquis. Lorsqu'au début du jeu Tommy Vercetti s'installe au volant de l'Admiral de Ken Rosenberg, l'avocat véreux et cocaïnomane inspiré du personnage campé par Sean Penn dans L'Impasse de Brian de Palma, la station de radio Flash FM envoie à plein tube Billie Jean de Michael Jackson. Notre croisière en bolide démarre sur les lignes de basse du hit, tandis que nous découvrons le terrain de jeu avec, d'emblée, ce sentiment de nostalgie inséparable du groove des eighties. Dès le premier virage, notre sang bout.

Vice City est la reconstitution du Miami de 1986, ville qui fut une Mecque de la pop en son temps, avec son univers de discothèques, de plages chaudes, de sexe, mais aussi de cartels de drogue et de trafics financiers. L'esthétique du jeu, tout en nappes de néons et saturations chromatiques, évoque le coucher de soleil langoureux de la Floride représentée dans Miami Vice (la série, comme le film cotonneux de Michael Mann) ou Scarface (l'une des références premières de GTA). Faire résonner ce qui est sans doute l'un des plus célèbres tubes du Roi de la Pop en amorce de ce jeu, c'est imprimer sur le joueur la couleur d'un projet : Vice City sera une balade dans le magma d'une ville fantasmée, tracée comme une plage musicale constituant un pan dans la bande-son du mythe américain moderne. En ce sens, l'utilisation de la musique – en plus de sa fonction de coloration évidente, au même titre que la direction artistique – appelle un rythme particulier, lancinant, réceptif au temps long de la conduite et de la brise urbaine que propose de mettre en scène le monde ouvert encore balbutiant.

Lorsque Rockstar sort GTA: San Andreas deux ans plus tard, le projet n'est plus seulement à l'échelle d'une ville, mais d'un état entier, constitué de zones urbaines et d'un cœur rural. La musique n'est alors plus composée d'une touche unie, couleur homogène pour dresser le portrait d'un lieu, mais varie selon les paysages parcourus. Il n'y a pas d'instant Billie Jean dans San Andreas, mais plutôt divers moments où le joueur zappe d'une station de radio à l'autre, en cherchant la bande-son qui s'accorde le mieux avec l'humeur de l'environnement traversé. A Los Santos (Los Angeles), on écoute volontiers Radio Los Santos et son gangsta rap West Coast, en dodelinant de la tête sur Dr. Dre, Snoop Dogg ou 2Pac. Mais une fois arrivé dans l'arrière-pays, on traverse les fermes et les bleds de montagne au son de l'hymne redneck Freebird (Lynyrd Skynyrd) ou de la country d'Hank Williams. Pour certains joueurs enfin, les virées dans la cité escarpée de San Fierro (San Francisco) se marient bien avec le rock psychédélique de Primal Scream, pour d'autres selon les goûts, avec la House non moins chimiquement assistée de la station SF-Underground Radio. Toujours, Rockstar reste fidèle à son programme esthétique : faire de la musique un personnage à part entière du jeu, ayant valeur de guide à travers l'Americana reconstituée.

 

Ocean Drive

Mais la musique n'est pas seulement une couleur ; elle joue aussi le rôle de stupéfiant (de ce point de vue, GTA est sans doute l'une des séries de jeux les plus druggy qui soient), d'agent catalyseur pour les "wow moments" que le développeur aime nous envoyer à la figure. La musique nous entraîne à avaler la route, en voiture ou à pied, comme dans la publicité de Grand Theft Auto IV (2008) où Niko Bellic marche d'un bout à l'autre de New York au rythme disco-punk du Get Innocuous! des héros locaux LCD Soundsystem. On se souvient aussi dans ce jeu du moment où – comme un écho à l'instant Billie Jean de Vice City – nous montons pour la première fois dans un hélicoptère pour survoler Manhattan, découvrir le territoire du haut d'une nouvelle perspective et se dire que décidément ce jeu n'a pas de limites. A cet instant, DJ Iggy Pop est aux commandes de Liberty Rock Radio et nous envoie à fond dans les oreilles The Seeker des Who. La musique nous apporte de la hauteur, nous fait décoller pour nous laisser scruter les pulsations de la ville et du monde miniature.

C'est toujours ce même processus qui est à l'œuvre dans l'une des meilleurs missions de GTA V (2013), intitulée "Did somebody say yoga?", dans laquelle le braqueur dépressif Michael se retrouve à son insu sous l'emprise de la kétamine. Après toute une séquence hallucinatoire sans queue ni tête, mêlant chimpanzés et aliens conspirationnistes, Michael se retrouve propulsé dans le ciel de Los Santos, planant en chute libre au-dessus d'une toile de lumières et de couleurs. Rockstar n'était jamais allé aussi loin dans la mise en scène de l'acid trip ultime, ici grandement renforcé par l'électro-pop bigarrée de Flight Facilites (remixant Shine A Light des C90s). La scène est comme un remake du passage de The Big Lebowski où Jeff Bridges, en pleine extase psychédélique, survole la Cité des Anges. La ville n'est alors plus qu'un grande abstraction, scintillement de couleurs floues et de lumières, l'essence pure de la mégalopole américaine.

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