L'année dernière on apprenait la réunion de 50 Cent et Fat Joe. Les deux mastodontes de New York anciens ennemis enfin réunis ? Belle affiche. Sauf que la prod est poussiéreuse (un sample utilisé par The RZA dans Incarcerated Scarfaces de Raekwon en 1995) et l’énergie de Fat Joe masque à peine le couplet assez juste de 50 Cent. De plus, on entend que les deux hommes n’étaient pas en studio ensemble. Free Again est un pétard mouillé indigne du statut de ces deux grands MC.
Dans le South il y avait aussi une réconciliation : Rozay va inviter Jeezy sur son album. Rick Ross en fait un événement : il balance un petit teaser vidéo, poste une photo avec le Snowman et donne le titre de la chanson. #Warready sera dans Mastermind le sixième album de Ricky Rozay. La mise en scène et donc l’impact est différent. Face à la flamboyance du duo du South, Fat Joe et 50 Cent sur cette opération se retrouvent ringardisés. Ils sont à l’image de la scène rap de New York. Analyse...
Etat des lieux
New York va mal. Par exemple au Grammy Awards 2014, Jay-Z était le seul représentant de New York. Pire, à part lui, Nas l’année passée et Nicki Minaj en 2012 aucun new yorkais n’est apparu dans la catégorie meilleur album rap depuis 2010. C’était à l’époque avec les albums The Ecstatic de Mos Def et The Renaissance de Q-Tip. Dans les classements Billboard c’est le désert : à part l’inévitable Shawn Carter il n’y a personne. Enfin dans l’étroite playlist de Hot 97 la radio phare de la ville on trouve seulement Jay-Z et Fabolous en septième place. Jay-Z est dans le game depuis plus de vingt ans et n’entre pas dans notre grille de lecture.
(Jay Z King Of New-York)
Pourtant ce ne sont pas les rappeurs qui manquent dans les cinq boroughs. Les jeunes talents comme Joey Badass, Bishop Nehru, Flatbush Zombies, Bodega Bamz, le A$ap Mob ou même Action Bronson ont pour l’instant encore peu de visibilité dans le grand public. Le format du thug rapper usé par les Papoose, Maino, Troy Ave, Red Café et d’autres s’essouffle. Enfin la scène backpackers (Sean Price, Skyzoo, Roc Marciano, Talib Kweli, Torae) malgré son indéniable talent n’y arrive pas non plus. Reste les noms prestigieux : Fat Joe, Cam´ron, Juelz Santana, Jim Jones, Jadakiss, Styles P, Sheek Louch, Fabolous, Joe Budden, 50 Cent, Method Man, Redman… Les quelques clips de 50 Cent, le nouvel EP de Cam’ron ou encore les titres de The Lox ne masquent pas leur trop longue absence.
Montana, Minaj, Asap
Ces trois artistes représentent-ils New York ? French Montana du Bronx et Nicki Minaj du Queens ont longtemps stagné dans l’underground new-yorkais. L’un enchaînait les DVD (les fameux Cocaïne City qu’il présentait) et les embrouilles –notamment avec Jim Jones- et l’autre essayait avec un succès relatif de reprendre le créneau de Lil Kim. Ils ont du s’expatrier à Atlanta (sous le management de Debra Antney la mère de Waka Flocka) et adopter une esthétique du South pour avoir du succès. Même si, reconnaisons-le, ils "représentent" New York dans leurs textes, leurs flows et leurs musiques (comme par exemple Pop That avec sa boucle de Luke de 2 live Crew ) n’ont pas l’identité new yorkaise.
Vado un temps proche de Cam'ron qui a rejoint We The Best de Khaled depuis un an essaye a contrario de conserver son ADN new-yorkais. A$ap Rocky qui vient d’Harlem lui s’est fait connaître en utilisant du slang ("Keep It Trill"…) et le "swag" -l’attitude-de la ville Houston. L'argument avancé notamment par A$ap est que les jeunes aujourd'hui grâce à Internet dépassent les frontières de leurs quartiers pour écouter et apprécier de la musique de toutes les régions. Pas faux. Mais pourquoi Atlanta arrive à faire émerger des nouveaux artistes avec un son local ? Que, Young Thug, Rich Homie Quan, Migos etc sont jeunes et ont probablement une connection Internet. Pourtant dès les premières secondes de leurs musiques on reconnaît la touche d ATL. Même chose du côté de la west coast. Le camp TDE, Odd Future, Tyga, Kid Ink, YG, Iamsu, Sage The Gemini, Problem représentent la Californie. Ne parlons même pas de Chicago qui depuis trois ans cultive et développe sa scène et son identité sonore. New York est dans une impasse.
Ville victime de son illustre histoire
Bien entendu, il y a toujours eu des cycles dans le rap américain. Los Angeles par exemple a mis du temps avant de se remettre du règne de Death Row. Durant un long moment seul Game et Snoop Dogg portaient hauts les couleurs de L.A. Le mal new-yorkais semble plus profond. Déjà la ville est victime de son illustre histoire. Chaque borough a enfanté des légendes de cette musique : RUN-DMC pour le Queens, Big Daddy Kane de Brooklyn et KRS One du Bronx. Ensuite il y a eu la génération dorée des Nas, Mobb Deep, Biggie, A Tribe Called Quest, Boot Camp Click ou autres Wu-Tang etc... Difficile de se créer une identité avec de tels référents. Enfin, le climat de la ville, depuis l’attentat du 11 septembre et les lois sécuritaires des deux derniers maires de la ville (Michael Bloomberg jusqu’en 2013 et avant Rudy Giuliani) ont éteint le monde de la nuit. Aux Etats-Unis, Atlanta et ses strips clubs est l'exemple parfait, le club est un des moteurs de la scène Hip-Hop.
Le bilan est calamiteux : le dernier jeune artiste de New York disque de platine est Lloyd Banks avec son album The Huger For More en 2004 ! Incroyable. Aujourd’hui les radios locales, les puissantes Hot 97 et Power 105.1 essayent de faire bouger les choses. Par exemple Power les week-ends joue majoritairement des rappeurs de la ville. Cipha Sounds, DJ et co-animateur de la matinale sur Hot 97 tente de réunir différents artistes de la ville lors de showcases. Bel effort mais pour l'instant le public ne réagit pas trop...
(Lloyd Banks et Tony Yayo sont les deux derniers jeune rookie à avoir un disque de platine)
Reste que ce n'est que de la musique. Même si beaucoup d'indicateurs sont alarmants, un artiste de New York peut éclore le mois prochain et sortir un tube mondial. Un crew de jeunes loups prépare peut-être une révolution musicale...
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