Analyse fait par d'ALEKS du site wtfru.fr
Il y a deux ans, Nas sortait son dixième album solo, Life is Good, en un peu moins de vingt ans de carrière. Et ce dans l’indifférence quasi général. Pourtant, toutes les critiques se sont montrées unanimes pour saluer « le meilleur album de Nas depuis longtemps ». Alors pourquoi ce désintérêt notoire pour l’un des rappeurs les plus doués de sa génération, pour ne pas dire de l’histoire du rap ? Retour sur une carrière gâchée.
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Illmatic ou l’entrée dans la légende
Avril 94, un minot de 20 ans, bonnet vissé sur le crâne, fait une entrée fracassante dans le monde du rap. En l’espace de 40 minutes et dix titres, Nasir Jones va changer la face du hip-hop avec son premier album, Illmatic. Succès dans la rue, succès d’estime, l’opus devient un classique instantané. Aidé par les plus grandes gloires de l’époque (Dj Premier, Large Professor, Pete Rock, Q.Tip), Nas va installer la côte Est et plus particulièrement New-York au premier plan d’un genre contrôlé ces dernières années par la West Coast, le G-Funk et ses icônes Dr Dre et Snoop Dogg.
Fini l’ambiance porno-gangsta, retour à la triste réalité des blocks, de la prison et de la pauvreté. Jamais un rappeur n’avait aussi bien décrit l’univers sociologique ambiant dans les quartiers. Public Enemy ou Rakim, pour ne citer que les plus connus, avaient bien essayé, mais personne n’avait poussé l’écriture et le pouvoir des mots aussi loin. L’équation est donc toute trouvée: productions de légende + lyrics de très haute volée + flow hyper précis = victoire.
Avec Illmatic, le natif de Queenbridge devient la figure de proue d’un genre qui verra fleurir quelques mois plus tard d’autres artistes ayant rejoint le gotha depuis, de Mobb Deep à Notorious Big, en passant par Jay-Z. Mais là où Nas s’assure une street credibilty de dingo, il échoue par la même là où Biggie ou Jay-Z réussiront juste après: le succès commercial. Le début des emmerdes.
Des choix de carrière douteux
La suite est en effet moins glorieuse. Il y aura bien It Was Written, deuxième album tant attendu, deux ans plus tard, qui ne fera que confirmer le talent au micro du MC. Mais déjà, on sent poindre un manque de direction artistique flagrant. Il y a bien du street, du grand lyricisme (The Message) et même un gros single (If I Ruled the World avec Lauryn Hill, la meuf la plus bankable de l’époque) mais difficile de voir un lien entre les trois mondes. Ce n’est rien comparé à la double vautre I Am…/Nastradamus, les deux albums sortis en 1999. C’est bien simple, il n’existe plus aucune logique. Alors ok, c’est sur l’un d’eux qu’il y a le meilleur titre de Nas voire du rap (l’immense Nas is Like produit par Primo) mais c’est à peu près tout. A la recherche du succès de vente, l’homme à la doudoune se perd et perd ses auditeurs. On peut nommer l’immonde Hate me Now en compagnie de P.Diddy ou encore le raté You Owe Me pourtant produit par Timbaland, producteur à la mode en cette fin de siècle. Rien n’y fait, la sauce-MTV ne prend pas et Nas de voir que n’est pas Jay-Z qui veut. En effet, le golden boy de Roc-a-Fella enchaîne les albums en tête des charts, les hits et les apparitions sur les plus prestigieux albums. Pire, au tournant des années 2000, « Jigga-man » vient secouer les puces de son meilleur ennemi sur le terrible Takeover avec cette phrase assassine « one hot album every ten year average » ou encore « So yeah I sampled your voice, you was usin’ it wrong/ You made it a hot line, I made it a hot song » pour une sombre histoire de sampling. Affront ultime, en plus du morceau, l’album sur lequel il apparaît (The Blueprint) devient le premier grand classique rap du siècle et va redéfinir les contours du game.
Ce diss aura le mérite de réveiller la carrière de Nas qui entreprend enfin sa résurrection avec deux albums plus consistants, Stillmatic et God’s Son. Une fois de plus, on saluera plus le génie du rappeur que l’ensemble artistique de l’oeuvre. Ironie du sort, c’est sur le second nommé que Nas va connaître son quart d’oeuvre de gloire commercial avec I Can, sample de Beethoven à l’appui et refrain chorale d’enfant. Recette supra efficace mais tellement facile… qui renvoie directement à Its a hard knock life de.. Jay-Z, sorti quatre ans plus tôt. Encore un train manqué.
La parole du prophète
L’âge et la maturité aidant, Nas comprend que son heure est passée et que son image de lyriciste de génie ne se mariera jamais à celle d’entertainer. L’album Street’s Disciple collera parfaitement à cet état d’esprit, un opus sans single, sans titre fort, juste riche en écrit. Et c’est à ça que se résume la carrière du bonhomme. Il aurait pu être écrivain que le résultat aurait certainement été le même. Il ne mettra jamais en avant la musicalité avant le discours, conscient voire malade de ne pas perdre le seul titre de prestige qu’il possède de meilleur lyriciste du rap jeu. C’est peut être pour ça qu’à chaque fois qu’il a tenté de s’acoquiner avec les producteurs en vogue, il n’en a jamais retiré les meilleurs instrus (Timbaland, Scott Storch, Will.i.am, Premier, Alchemist), sans parler de sa frigidité face à la nouveauté (jamais un son de Kanye West, Lil Jon ou les Neptunes). Ce manque d’ambition a forcément freiné sa créativité en même temps qu’il a fermé bon nombre de portes.
Finalement, ses deux derniers grands moments de gloire auront lieu ailleurs que sur sa musique même: un mariage avec Kelis puis un contrat signé chez Def Jam… tout juste contrôlé par Jay-Z. Le buzz du morceau des deux géants n’aura pas l’effet escompté puisque l’album suivant au titre évocateur, HipHop is Dead a exactement les mêmes défauts que les précédents: du sens mais très peu d’originalité.
Et comme toute recette, à force d’être fade, on finit par se lasser. L’homme aura beau tenter de refaire parler de lui avec le titre de son prochain album (Nigger finalement appelé Untitled), tout le monde s’en fout, lui préférant les Kanye West, T.I et autres Lil Wayne.
Rappeur pour le fun
Et aussi moche soit-il, c’est désormais à l’ombre de toute pression que l’homme prend des risques. En lançant le single The Don pour Life is Good, Nas a surpris son monde en posant sur une production dans l’air du temps. Et de quelle manière! Il n’a jamais paru tant agressif mais tant à l’aise. Un banger de gros niveau qui faisait espérer tout le monde d’une prise de conscience artistique. Il n’en fût malheureusement rien. Ok, à 40 berges tu vas pas chercher à rapper pour les teenages, OK les discours sont encore de toute beauté. Mais sérieux, quelqu’un en a encore quelque chose à foutre que Nas fasse un morceau avec Mary J Blige ? On est plus en 96, et ce genre de titres, c’est du même niveau que de revoir Peter & Sloane chanter leur seul tube sur les plateaux télés. Ca sent la naphtaline à plein nez.
Le seul morceau, outre The Don, qui vaille vraiment le coup, c’est une production de Swizz Beatz(oui oui) où, là encore, Nas se frotte à la nouveauté. Et le pire, c’est qu’il paraît naturel et maitrise la prod. à la perfection. Limite, on s’en fout du passage foireux du chanteur/vendeur de burrito à la fin du morceau qui vient tout gâcher en espagnol, la prise de risque est là et c’est tout ce qu’on attendait depuis toujours!
Mais on a bien compris que c’est beaucoup trop tard désormais et tout le monde s’est fait une raison. Nas continuera de rapper pour sa génération et pour ses fans les plus hardcore. Alors, on peut espérer un album en exercice de style, sur du jazz pourquoi pas (aidé par papa ?) et on est sûr que ça sera de la balle. Mais connaissant le mec, il est capable de faire un album de reggae tout pourri avec un des fils Marley. Comment ça c’est déjà fait ?
(Nas et Mary J Blige à une block party)
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