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Les 4 fantastiques du rap US - Black Hippy, l’avenir du rap West ?

  • Publié par Funky Thug
  • mar 06 nov. 12 - 20:24
  • Genre: rap

On ne dirait pas, mais le rap West Coast est de retour. Alors que la sortie du nouveau Dr. Dre est repoussée et que Snoop Dogg bouffe à tous les râteliers, un feu calme mais puissant est en train d’embraser l’arbre décrépi du rap West Coast, par la racine. Venus sans flingues ni grosses Cadillac, les rappeurs "Black Hippy" ont pour nom Kendrick Lamar, ScHoolboy Q, Jay Rock et Ab-Soul. A eux quatre, ils sont en train de planter leur pavillon noir sur la côte Ouest, sans forcer.

 

Faire renaître la West Coast de ses cendres

Les spectateurs n’ont pas halluciné : au dernier festival de Coachella, en Californie, Dr Dre et Snoop Dogg ont joué deux morceaux en compagnie du fantôme de Tupac Shakur. Mort assassiné en 1996, le rappeur est en effet apparu sur scène sous la forme d’un hologramme plus vrai que nature, en guise d’hommage à l’âge d’or de la West Coast. Techniquement impressionnante mais plutôt de mauvais goût, cette performance spectrale venait en tout cas rappeler une chose : le rap West Coast "mainstream" peine à retrouver sa vigueur d’antan. Son dernier coup de force commercial en date remonte probablement à The Documentary de The Game en 2005, même si l’album, sur-référencé, sentait déjà le sapin. Dominé par les stars de la Côte Est telles que le vétéran Jay-Z, la jeuneNicki Minaj (New York), Kanye West (Chicago) et surtout par le Sud de Rick Ross(Miami) et Lil Wayne (Nouvelle Orléans), le rap californien se voit aujourd’hui concurrencé de toutes parts. D’autant qu’avec internet et son flux continu de mixtapes gratuites, la polarisation est-ouest qui faisait rage du temps de la guerre entre Notorious Big et Tupac Shakur dans les 90’s est devenue obsolète : désormais, les MC peuvent venir de Pittsburgh en Pennsylvanie (Wiz Khalifa, Mac Miller), d’un bled de Georgie (2Chainz), de l’Ohio (Stalley) voire même du Canada (Drake).

 

Dans cet étourdissant contexte de décentralisation du rap-game, les cadors de la West Coast font pâle figure. Snoop Dogg produit des pornos entre deux albums paresseux surfant sur la dernière vague du moment, le perfectionniste Dr.Dre repousse tellement la sortie de Detox qu’il agace ses fans, Xzibit peine à retrouver sa street-cred’ après l’épisode télétuning "Pimp My Ride", Cypress Hill se met au dubstep, The Game ressasse son name-dropping sans se renouveler tandis que les légendes du gangsta-rap Ice-T et Ice Cube, tous deux acteurs, préfèrent désormais la caméra au micro. Seuls quelques survivants comme Kurupt et DJ Quik continuent à entretenir avec panache le mythe du G-Funk, dans l’indifférence du grand public. Parallèlement à ce déclin, persiste néanmoins depuis les 90’s un solide vivier underground en terre West Coast. Né en marge du triomphe gangsta-rap autour de Los Angeles, Detroit et la Bay Area de San Fransisco, le "mouvement" désordonné compte notamment les artistes tels que Dilated People, Jurassic 5, The Pharcyde, Planet Asia, Del tha Funkee Homosapien, Freestyle Fellowship, Souls of Mischief, le collectif de blancs-becs avant-gardistes Anticon, mais aussi la talentueuse clique du label californien Stones Throw Records, avecMadlib, Strong Arm Steady, MF Doom, Guilty Simpson ou encore J Rocc. Du beau monde, certes, et pour la plupart encore en activité, mais on ne trouve personne parmi ces MC ou beatmakers pour dépasser le palier du rap indé réservé aux initiés. Même les jeunes branleurs-skaters angelins d’Odd Future, pourtant au centre d’un énorme buzz 2.0 en 2011, ne semblent pas avoir le calibre pour un succès mainstream. Trop potaches, trop trash et trop brouillons sans doute pour décrocher les disques d’or d’un Eminem. Non, l’avenir du rap West Coast à vocation "mainstream" s’écrit en ce moment même par un autre crew de Los Angeles, à quatre mains, et il se nomme Black Hippy.

"Les nouveaux N.W.A."

Âgés de 25 à 26 ans, Kendrick Lamar, ScHoolboy Q, Jay Rock et Ab-Soul sont les piliers du crew Black Hippy. Tous venus de quartiers différents, dans les cités ou la périphérie de Los Angeles, ils se sont rencontrés en studio, où leurs flows se sont naturellement aimantés et harmonisés. Leur nom, Black Hippy, vient d’un désir de subversion pacifique. "Un peu à la manière des hippies, on ne veut pas être confiné dans ce que l’industrie attend de nous, explique Kendrick Lamar aumagazine canadien Explain. On veut conserver notre singularité. On a pensé aux couleurs hippies, et on s’est dit, ‘peignons-les en noir’. Le noir représente la paix, la haine, l’amour, l’honneur, le respect – touts les aspects de la vie. C’est de ça dont on parle dans notre musique" .

En 2012, leur label indépendant Top Dawg Entertainment a signé un accord avec Interscope, la maison des récents buzz Lana Del Rey ou Azealia Banks. Comme les N.W.A. ou les Beatles, quatuors mythiques auxquels les rappeurs Techn9ne etDanny Brown les ont respectivement comparés, la force de leur collectif repose sur une complémentarité sans faille. Chacun sa spécificité, façon 4 fantastiques. ScHoolboy Q fait rapidement les présentations : "Ab-Soul est le génie du crew, Kendrick Lamar est le Michael Jordan, moi je suis le motherfucker et Jay Rock le dur à cuire". (sur Beats TV)

Les 4 fantastiques de la West Coast

Jay Rock

Né à Watts, un quartier violent de Los Angeles, Jay Rock aurait pu finir en taule ou au cimetière avant la vingtaine, mais il a été sauvé par son art de la rime, qu’il cultive depuis l’adolescence. Malgré des propositions de majors après sa nomination parmi les 10 "Freshmen" du magazine XXL en 2009, il quitte Warner l’année suivante pour rejoindre le label indé du rappeur Techn9ne. Sur son premier album officiel, Follow Me Home (2011), on trouve des featurings des stars Lil Wayne, Rick Ross et surtout, de tous les membres du crew Black Hippy. Le "Rock" impose sa voix rugueuse à la Tupac et ses textes réalistes sur des beats lourds hérités du gangsta-rap de Dr. Dre. Sans fioriture, classique sans être nostalgique, le style du MC élevé au son des N.W.A. est entièrement dévoué à son but : "replacer la West Coast au centre de la carte des USA". 

Kendrick Lamar

Deuxième arrivé chez Black Hippy après Jay Rock, Kendrick Lamar est un peu la star du crew. Pourtant le style du "Michael Jordan" des hippies noirs (il a failli être basketteur pro) a beau allier chant soulful et rimes techniques avec raffinement, il n’est jamais tape à l’œil. Onctueux, élastique, viscéral, il sait ancrer ses textes racés, mêlant considérations politiques ("Hiii Power" qui fait référence aux revendications de Martin Luther King et Malcolm X), constats sociétaux ("A.D.H.D"sur l’hyperactivité et les troubles de l’attention liées aux drogues de sa génération, née dans les 1980’s) et rêveries opiacées, sur des beats hypnotiques.Tout juste signé chez Aftermath, le prestigieux label de Dr. Dre himself, le rappeur de Compton a déjà sorti deux superbes mixtapes (Overly Dedicated et Section.80) qui ont mis à genoux tout le monde : la presse, les amateurs de hip hop qui ont vu un retour à l’authenticité perdue dans les 2000’s et même les légendes du rap californien. The Game, Snoop Dogg et Dr Dre ont en effet adoubé le MC de 25 ans en le baptisant "New King of the West Coast".

ScHoolboy Q

Dernier arrivé dans le giron de Top Dawg Entertainment, ScHoolboy Q partage avec Jay Rock un passé gangsta et avec Kendrick Lamar un goût pour le sport et la codéine. Né sur une base militaire allemande, Quincy Matthew Hanley a grandi à South Central, l’un des quartiers les plus chauds de Los Angeles. Sa proximité avec le milieu gangsta ne l’a pas empêché de faire des études, pendant lesquelles il brille surtout en football, mais à 21 ans, il passe tout de même quelques mois en prison pour deal et fréquente le gang des Hoover Crips. Voyou éduqué, ScHoolboy Q doit son surnom aux lunettes qu’il porte et à la première lettre de son prénom, Quincy. Sorti après deux mixtapes, son deuxième et excellent album Habits and Contradictions (2012) sur lequel on trouve notamment les talentueux A$AP Rocky et Curren$y en featuring, expose la personnalité tout en paradoxes du rappeur influencé par 50 Cent et Nas, entre violence des blocks et prise de recul sur fond de défonce. Sombre et insaisissable.

Ab-Soul

Ab-Soul porte lui aussi des lunettes, mais de soleil, à cause d’une extrême sensibilité oculaire. Cette peur physiologique de la lumière définit, somme toute, assez bien la place du rappeur le plus discret des Black Hippy. Loin des projecteurs, un peu à l’écart. Car contrairement à ses trois compères, Ab-Soul n’a pas grandi dans un quartier chaud de L.A, mais à Carson, une banlieue plutôt tranquille jouxtant Compton, au Sud de la Cité des Anges, dans laquelle ont également habité des rappeurs tels que The Game, Dr Dre ou Bishop Lamont. Éduqué, fin connaisseur musical (ses parents tenaient une boutique de disques), Ab-Soul est "l’Albert Einstein du crew" selon ses partenaires de mic. Peu spectaculaire et réfléchi ("Some say I manifest destiny when I'm on these beat / Others say I ain't flashy enough to shine” rappe-t-il sur le morceau "Can anybody hear me") et moins influencé par le G-Funk crâneur et coloré de la West Coast que par l’austérité du rap East Coast de Jay-Z et Notorious Big, Ab-Soul est la force tranquille gravitant dans l’ombre de Black Hippy. Sur des beats souvent soulful ou cool-jazz, plus laid-back que chez ses acolytes, il distille des textes affûtés, rongés par le doute et des questionnements existentiels. Cela fait-il de lui un "rappeur conscient" ? Peu friand d’étiquettes, Ab-Soul a cette réponse parfaite : "Qui n’est pas un rappeur conscient ? Quelle connerie. Si tu n’es plus conscient tu cesses d’être un rappeur. Notorious BIG est un rappeur inconscient."

L’avenir leur appartient

C’est entendu, tant ça crève les oreilles : l’avenir de la West Coast et, soyons fou, du hip hop US, appartient aux Black Hippy. L’accord de leur petite structure Top Dawg Entertainment sous la double bannière Interscope/Aftermath en mars 2012 les place d’emblée sur les starting blocks pour une conquête mondiale. Affiliés à ces deux prestigieux labels, ils gravitent désormais aux côtés de poids lourds du hip hop tels que Pharrell Williams, Dr Dre et Eminem, et disposent désormais de la force de frappe commerciale de popstars comme Madonna ou Lady Gaga. Pour l’instant, Kendrick Lamar semble clairement le mieux placé pour tirer des compères vers les sommets. Très plébiscité, le MC est déjà annoncé sur l’album rap le plus attendu de tous les temps (plus de douze ans déjà !), le fameux Detox de Dr. Dre. Il aurait participé à une trentaine de morceaux mais nul ne sait quelles chansons seront retenues par le Doc sur la galette finale - si elle sort un jour. En tout cas, lesingle "The Recipe", sur lequel l’auteur de The Chronic semble s’inspirer du flow syncopé de son poulain, laisse espérer de grandes choses de l’association entre le vieux roi de G-Funk et le prince Lamar. Et puis franchement, quel autre jeune rappeur peut aujourd’hui se targuer d’avoir lancé la promo de son premier album officiel (Good Kid in a Mad City, prévu en septembre 2012) avec un morceau "featuring Dr. Dre" ?  Difficile de commencer plus fort : les carrières de Snoop Dogg, Eminem et 50 Cent, qui ont pour point commun d’avoir toutes débuté grâce à un hit concocté par le boss d’Aftermath, peuvent en témoigner.



illustration : Ab-Soul, Jay Rock, Kendrick Lamar et ScHoolboy Q

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