Puis il m’explique pourquoi je ne vois pas de disques d’or aux murs du studio. En fait, il en a gardé quelques uns qui ornent les murs de sa propre compagnie de management, et il en a donné pas mal d’autres, car il n’apporte pas tellement d’attention à toutes ces choses matérielles.
Louis Johnson : Je n’ai pas besoin de montrer à tout le monde ce que j’ai fait. J’en suis fier, mais je n’en fais pas un fromage ! Voilà un peu l’histoire des Bros. Johnson. Mais je suis très heureux d’avoir contribué à tous les albums sur lesquels j’ai été invité. Je me rappelle la première session pour laquelle j’ai été engagé. C’était pour un album de Grover Washington Jr. Je n’étais encore qu’un gamin et pourtant ils m’ont fait venir à New-York en avion tout seul ! J’étais sous le choc, j’avais les jetons, je ne savais pas quoi penser. Il y avait quelqu’un pour m’attendre à l’aéroport heureusement! On m’a mis dans la suite d’un hôtel, le grand jeu. Quand je suis arrivé dans le studio ce soir là, tout le monde m’a regardé avec un drôle d’air. Ils essayaient de m’intimider. Il y avait là le gratin : Bob James, Eric Gale, Steve Gadd, Spider Webb. Ils étaient en train d’accorder leurs instruments. Et j’ai fait de même en attendant. Ils ne m’ont pas vu faire grand chose d’extraordinaire, alors ils ont pensé que je ne valais rien !
Grover s’est pointé et m’a fait un solo de sax dans les oreilles! Et je me suis tourné en lui demandant ce qui lui prenait! Et puis j’ai pensé que c’était pour voir ce que j’avais dans le ventre. Alors j’ai pensé‘Ah ouais, tiens prend çà’! (là il se met à slapper comme un malade la basse qui est sur ses genoux depuis le début de l’entretien! Inutile de dire que c’est absolument monstrueux!) Et tout le monde s’est écrié qu’ils n’avaient jamais vu çà avant! Alors Grover m’a dit : ‘Est-ce que tu peux faire çà’ (petit riff). Alors, je lui ai dit : ‘Est-ce que tu peux faire çà?’ (il se remet à slapper) (Rires énormes). C’est comme çà qu’on est devenus amis. On a dû faire au moins 10 chansons ce jour là. En rentrant à l’hôtel après, j’ai eu un coup de téléphone du label qui me disait qu’ils étaient vraiment contents de ce que j’avais fait. Ils m’ont même demandé de jouer sur scène avec Grover, de faire partie de son groupe. Mais on venait de faire le premier album, alors j’ai du décliner l’invitation. C’est alors qu’ils m’ont dit que çà leur posait un problème car ils ne connaissaient personne capable de jouer les parties de basse que j’avais faites pour accompagner Grover sur scène! (Rires monstrueux).
Wonder B : Quel était l’album en question?
Louis Johnson : C’était “Feels So Good”. Une des autres expériences marquantes dont je me rappelle fût une session avec Sergio Mendes. J’adore Sergio, en tant qu’individu, sa maison et son studio aussi, et tout ce qui tourne autour de lui. C’était vraiment différent de Quincy Jones, de Stevie Wonder, dePaul McCartney de toutes les personnes avec qui j’ai eu l’occasion de travailler. Sans parler de sa musique. Sa maison est à Encino (très près de la maison de Louis) et pourtant on est dans un autre monde. J’ai donc fait cet album “Home Cookin” pour lui. Avec Paul McCartney, c’était pour l’album “Give My Regards To Broadstreet”. Il faut que je dise que de tous les artistes avec lesquels j’ai eu l’occasion de travailler, Paul McCartney est celui qui fût à la hauteur de l’idée que je me faisais de lui. On a tous une certaine idée des gens, on les idéalise, et Paul était tel que je l’imaginais. Quand j’étais gamin, je jouais ses chansons et quand on imitait les Beatles, je faisais toujours Paul ! (Rires gargantuesques… Louis a un rire à nul autre pareil, extrêmement communicatif et très ‘loud’!). J’essayais même de prendre son accent et là je dois dire que j’étais assez mauvais ! Alors quand j’ai rencontré Paul, c’était magnifique. Il faisait une session avec Michael Jackson pour “The Girl Is Mine”, et il se baladait partout avec son camescope et quand il est venu me filmer, j’ai commencé à jouer “Silly Love Songs”, l’un de ses tubes. C’est quelqu’un de foncièrement gentil, toujours positif. Il n’a jamais eu que de bonnes paroles pour moi. Quand je suis allé le rejoindre en Europe j’ai passé 18 jours avec lui, et c’était tellement merveilleux que je ne voulais plus partir. On a même joué à des jeux vidéo ensemble (je suis un malade de ce genre de trucs). Je sentais qu’il m’appréciait vraiment, sans chichis. J’ai joué avecMichael Jackson et il m’aime bien aussi, mais c’est plutôt le genre poli, tandis que Paul est vraiment très simple et c’est vraiment un pote. La seule chose qui fût dure pour moi quand je suis allé là-bas, c’est que je venais de suivre un programme de réhabilitation antialcoolique juste avant, car je buvais beaucoup. J’avais commencé à boire dès que j’ai commencé à jouer. Je buvais surtout de la bière et du vin, pas de liqueurs ou d’alcools forts. Et puis j’ai développé une tolérance très forte à tel point que je ne pouvais plus m’en passer. Alors quand je suis arrivé dans ma chambre en Angleterre et que j’ai vu un énorme panier avec des fruits, des bouteilles de vin, des fleurs… C’était magnifique. J’ai été obligé de leur dire que je venais d’arrêter de boire! (Rires) Je me sentais un peu honteux car c’était un cadeau de Paul, mais bon…
En Europe, les gens me reconnaissaient dans les magasins de disques ou j’allais et j’ai vraiment apprécié leur contact. C’est comme le fait que tu viennes jusqu’ici pour l’interview, c’est vraiment sympa.
C’est à ce moment de ma vie que j’ai redéfini mes priorités et que je suis revenu vers la Bible et Dieu. Pour moi, ce travail avec Paul, c’était quelque chose de sérieux qui me remettait sur les rails. J’ai complètement changé ma façon de vivre. Plus de soirées, de beuveries. J’avais composé une chanson pour Paul dans son style quand j’étais plus jeune, je lui avais fait écouter, et il l’avait aimée. Je l’ai d’ailleurs chantée sur scène avec les gars du groupe Toto. Alors Paul, si tu lis ces lignes, j’ai encore la chanson et je suis sûr que çà ferait un tabac, contacte moi! La dernière fois que j’ai été en contact avec Paul, c’était en 1990 quand j’ai commencé à faire ces vidéos de cours de basse. J’en ai fait deux en solo et puis après j’ai dit aux gars de Star Licks, qu’il y avait d’autres super bassistes et qu’il fallait aller les voir. C’est comme çà qu’ils m’ont demandé de voir si Larry Graham serait intéressé. J’ai été le voir dans l’église où il officiait (il a prêché pendant quelques années) et je lui ait dit : ‘Larry, tu es un célèbre bassiste…’ et il m’a répondu : ‘Ah bon?”‘… (Rires) ‘Si, si! Et il y a des gens qui se souviennent de toi et qui veulent faire une vidéo. Tu as une influence sur un grand nombre de gens et tu devrais la faire.’ Alors après j’ai réuni des gens comme Nathan East, James Jamerson Jr., Neil Stubenhaus, Abraham Laboriel, Freddie Washington, même Verdine White. Bref, la crème! Ils ne le croyaient pas. Mais je suis en contact avec tous ces gens. En plus la compagnie pensait que ce serait impossible de les réunir tous en même temps. Mais j’ai réussi! Et on a fait trois vidéos d’enfer. J’avais aussi appelé Paul, mais il m’a demandé qui serait dessus et il m’a dit ‘Mais je vais être le seul blanc là-dessus!’ (Rires) En fait il ne pouvait vraiment pas car il était sur un autre projet à ce moment.
À cette époque, on m’a diagnostiqué une maladie qui découlait de l’absorption d’alcool excessive dans ma jeunesse. Une maladie très rare qui au lieu de toucher le foie comme d’habitude pour les buveurs, touchait mon système nerveux. Tous les médecins que j’ai vu me donnaient deux ans au maximum, la maladie étant incurable. J’ai pensé que c’était fini et puis je suis encore là. Après avoir beaucoup prié, Dieu m’a donné une seconde chance. C’est un vrai miracle. Je suis retourné chez mon père dans l’Indiana. Depuis le début des années 1990, je consacre pas mal de temps à la fabrication de basses et de guitares qui portent ma signature. Flea des Red Hot Chili Peppers a été un des premiers. Et puisMark White des Spin Doctors a suivi. Ce n’est pas un trip d’ego pour que je voie mon nom sur les basses! C’est vraiment mon idée! J’ai vraiment fait une basse pour les slappeurs. Tu vois, j’ai créé cette encoche sous les aigus pour ne pas taper le corps de la basse quand tu slappes. En plus TREKER (la marque sous laquelle sont vendues ses basses) a conçu un système qui enlève toute tension et torsion du manche permettant ainsi un sustain fantastique… Je vais te montrer un secret. Les bassistes jouent sur les manches. Moi aussi, mais tu vois les usures là au dessus des micros? Ben moi je joue aussi là!(Rires) Oui, oui.
Wonder B : Bon, là il faut que je te pose une question. Avec des amis on regardait ta vidéo et on s’est dit : “C’est impossible de refaire ce que fait ce type car on n’a pas les mêmes doigts! On voyait ton pouce qui barrait tout le manche! Et puis ton majeur qui est incroyablement long aussi! Alors montre-moi ta main car pour nous tu es un extra terrestre !
Louis Johnson : (Rires) Bon, c’est vrai que j’ai de grandes mains. Mais le secret c’est le slap-choke où tu étouffes la corde juste après l’avoir tapée. Et puis tu combines. Ici, dans mon Académie de Basse, on apprend tout çà. Par exemple Larry Graham ne fait pas çà. (Il me fait une démonstration de trucs complètement démoniaques!) Il faut une parfaite coordination. C’est grâce aux Arts Martiaux. J’ai développé une technique appelée ‘Black Dragon’ en 20 ans de pratique. Très agressive. (Là, il rentre dans des explications d’images de techniques de combat avec les similitudes avec la basse) On enseigne la funkologie aussi… Nous sommes vraiment en phase!. Tu vois, on étudiait hier “Chocolate City” de Parliament!!! (Il se met à chanter le morceau!) On apprend aussi la construction des instruments, l’écriture, tout ce qui se rattache à la musique. Tu peux le dire à tes lecteurs. Il y a des gens qui viennent de partout, même du Japon.
Wonder B : As-tu déjà joué avec George Clinton?
Louis Johnson : Oui, j’étais dans le studio quand ils faisaient “Mothership Connection”. Et aussi quand ils ont enregistré “Starchild”, ils n’ont pas mis mon nom sur l’album, mais j’étais là. En plus, on a tourné avec eux lors de le la sortie du Mothership. Regarde la prochaine leçon, on va étudier “Good To Your Earhole”! Pour çà, j’ai développé un langage spécial qui permet à quiconque, de quelque origine qu’il soit, de comprendre sans savoir le solfège. Ça s’appelle “The Secrets Scrolls Of Funk”. L’écriture est différente et permet même aux débutants de jouer et d’apprendre beaucoup plus vite. C’est la première fois que l’on approche l’instrument de cette façon.
Wonder B : Je me souviens du concert des Bros. Johnson à Mogador au début des années 80. Tu as joué tout le concert avec une moufle en peau de mouton. Pour le solo tu l’as enlevée et tu as slappé comme un fou pendant 10 minutes, seul avec le batteur, et puis on t’a emmené sur une civière et tu es revenu avec les doigts entourés de chatterton!
Louis Johnson : Ouais. Je joue jusqu’à ce que je n’en puisse plus. Parce que quand je fais un solo je retiens mon souffle, alors forcément à la fin je commence à me sentir mal ! Mais quand je joue je me donne au maximum, et ça fume ! Aujourd’hui les gars font des soli mignons, ils ne se décoiffent pas! Moi, je suis un guerrier quand je joue. C’est ce que j’apprends à mes élèves.
Pour revenir à la fabrication, j’ai aussi commencé à faire des guitares. (Il se met à slapper sur une guitare!!!)
Wonder B : Alors là, c’est hallucinant! Comment ne t’arraches tu pas la peau des doigts en tirant comme çà sur les cordes d’une guitare? C’est du jamais vu!
Louis Johnson : Là, il faut de l’expérience. Et si tu ne l’as pas vu, rappelles toi “Get The Funk Out Of My Face”. C’est moi qui joue de la guitare dessus, contrairement à ce que tous les gens croient, et je slappe sur une guitare. La plupart du temps je jouais les parties de guitare les plus difficiles au sein des Bros. Johnson. Tu vois mon nom sur les crédits de guitare. Je ne veux pas dévaloriser mon frère, mais j’en faisais beaucoup.
Wonder B : Mais beaucoup de gens ne le savent pas.
Louis Johnson : C’est vrai ! Mais tu vas pouvoir rectifier cela avec ton article !
Wonder B : Alors tu slappes la guitare (qui a 6 cordes), mais tu ne joues que sur une basse 4 cordes!
Louis Johnson : Oui. Moi je suis fidèle à la 4 cordes. Je le dis franchement comme je le pense. Les 5 et 6 cordes sont des fantaisies. Je suis un vrai bassiste, pionnier de la 4 cordes et du slap. Je ne l’ai pas inventé, mais je l’ai développé et j’ai un style qui est unique. Je ne jouerai jamais de 5 et 6 cordes, sauf sur une guitare.
Wonder B : Que penses-tu de ceux qui en jouent?
Louis Johnson : Je pense que c’est un gimmick. La seule que j’essaierai peut-être est la 8 cordes mais parce que c’est une 4 cordes doublées.
Wonder B : Oui, remarque Bootsy m’avait dit la même chose l’année dernière quand il est venu à Paris. Il ne touche pas autre chose.
Louis Johnson : Oui, je suis fidèle à mes basses comme les Saints envers Jésus ! (Fou rire monstrueux)Ça tu peux le dire au Monde. Ou alors je peux avoir un résultat plus intéressant si vraiment c’est nécessaire en désaccordant ma corde de E. C’est meilleur car on a une excellente résonance et donc un slap impeccable.
Wonder B : Mais tes basses sont-elles distribuées en Europe?
Louis Johnson : Non, d’ailleurs on cherche un distributeur, tu veux t’en occuper?! Je ne cherche pas à être célèbre pour mes basses, c’est pourquoi la distribution est encore confidentielle pour le moment. Mais je cherche un distributeur en Europe.
Wonder B : Tu as participé au “Bass Project”, une série de 3 CD sortis l’an dernier au Japon, qui réunissait les plus grands bassistes. Comment est-ce arrivé?
Louis Johnson : P-Vine, le label japonais m’a contacté pour faire deux morceaux en 1995. Et il y a peu ils ont commencé une autre série “Neo Bass”. J’y suis aussi.
Wonder B : Qu’est devenu ton frère Tommy?
Louis Johnson : Il est devenu road manager. Puis il en a eu marre et est devenu pompier ! On a tous eu des boulots en dehors de la musique. Par exemple, j’ai ouvert deux vidéoclubs en 1984 ! On y vendait aussi des ordinateurs. J’ai aussi passé plus tard un diplôme en droit. Ça sert toujours dans le business musical !
Wonder B : Quels sont tes projets en ce moment?
Louis Johnson : Je veux surtout développer mon Académie, et puis je continue à faire quelques sessions. J’ai bossé pour Walt Disney récemment. J’avais d’ailleurs travaillé pour eux sur ‘Captain Eo’ le film en relief avec Michael Jackson. J’ai aussi fait le dernier album de Michael Jackson et celui de Quincy Jones. Si quelqu’un est intéressé pour sortir un album solo avec moi, j’ai un tas de morceaux prêts. J’ai au moins de quoi faire 5 ou 6 albums. Mais je ne vais pas aller démarcher pour un contrat.
Wonder B : Qu’écoutes-tu à l’heure actuelle?
Louis Johnson : Plein de trucs. Je suis assez éclectique. Björk que j’adore! Des sons naturels enregistrés dans la forêt tropicale, mais aussi Cameo, Santana qui est mon guitariste préféré avec Jimi Hendrix. J’écoute aussi Beethoven !
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