Réaliser la suite d’un classique n’est jamais chose facile. La tâche est encore plus ardue lorsqu’il s’agit d’un disque ayant révolutionné un genre et changé la donne discographique pour une surface géographique entière. On imagine donc aisément que le bien nommé Dr. Dre est sous pression au moment où il aborde la finalisation de son deuxième album solo. Après un The Chronic certifié classique et classé parmi les disques majeurs tous genres confondus, on imaginait difficilement le bon docteur réédité une performance de ce calibre, d’autant plus que les années passant son influence s’est progressivement effritée. Aux manettes pour la plupart des grands succès de Death Row Records, il s’est vu retomber dans un relatif anonymat après son départ du label rouge. Sa nouvelle écurie Aftermath Records, créée par ses soins, mettra du temps à se faire une crédibilité. Surtout que la compilation inaugurale entièrement réalisé par Dre ne convaincra pas grand-monde, la faute à une inégalité plus que flagrante. Même sentence pour le disque du super-groupe The Firm co-réalisé par l’écurie de Mr Young qui ne servira qu’à rappeler qu’il est encore capable de sortir des tueries comme Phone Tap. La bande originale du filmBulworth ne suffira pas non plus à sauver les meubles, d’autant plus qu’en dehors du single Zoom avec LL Cool J elle ne marquera pas plus que ça. Encore heureux que l’album de sa nouvelle vedette Eminem parvienne à faire enfin décoller la machine. Toujours est-il qu’au moment de l’annonce de la sortie officielle de ce nouveau solo, les craintes sont légitimes, tant notre docteur s’est avéré peu rassurant depuis son départ de Death Row.
A l’écoute du disque le moins que l’on puisse affirmer est que Dr. Dre n’a pas chômé durant toutes ces années. Sa patte sonore est toujours aussi fine et son ouïe toujours aussi acérée. Sa capacité à trouver la mélodie juste est elle aussi demeurée intacte et il nous le prouve tout au long de ce disque en tous points remarquables. Il avait déjà annoncé la couleur avec le minimaliste et ultra-efficace Still Dre sur lequel il retrouve unSnoop Dogg utilisé à bon escient. Ce titre pourrait résumer à lui tout seul la teneur de cet album aussi bondissant qu’une low-rider, serti de mélodies plus aguicheuses qu’une croupe de gogo-danseuse. Dre reprend avec bonheur la recette de son album précédent n’intervenant qu’assez rarement seul au micro et privilégiant la qualité instrumentale. Vous l’aurez donc aisément compris, les productions sont à l’honneur sur cet opus et Dre parvient à se renouveler en injectant une bonne dose de G-Funk 2.0. Basses ronflantes, ambiance funky sentant bon le club enfumé, samples brillamment rejoués, orchestrations parfaites, mixages irréprochables donnent à l’album une dimension ultra-accrocheuse séduisant sans aucune peine fans de la première heure, simples auditeurs et surtout mélomanes novices. Ajoutons à cela des invités utilisés à bon escient et on obtient aisément l’un des disques majeurs de l’année. Pour ce qui est des lyrics Dre ne révolutionne par contre en aucun cas le genre. Les récits de défonce, les histoires de rue, de gang et les allusions libidineuses constituent l’exosquelette de ce projet aussi savoureux qu’un bon spliff. Il n’y a que lorsqu’il rend hommage à son frère (assassiné quelques années plus tôt) dans The Message que le bon docteur sort quelque peu de ce canevas. Pour le reste le cahier de charges est parfaitement respecté, reprenant même certaines des trouvailles de toutes ces années à triturer des instrumentaux. C’est par exemple le cas pour ce Murder Ink reprenant le principe de la table d’écoute déjà exploité pour Phone Tap.
Dès l’intro on est directement mis dans l’ambiance avec ces bruits de low-rider. Et comme ils pouvaient le laisser supposer cet album est plus qu’efficace pour rider. Les tueries sont légion. Outre l’efficace Still Dre on note un What’s The Difference destructeur cramé par un Xzibit en verve et un Eminem en excellente forme. Le blondinet de Détroit récidive sur l’excellent Forget About Dre outshinant sans peine son patron (en même temps Dre est loin d’être la plus fine gâchette de la planète au micro). Une triplette de titres rentrés depuis au panthéon des chansons les plus populaires. Ajoutons-y d’autres bastos comme le célébrissime The Next Episode en duo avec son acolyte préféré Snoop Dogg et ponctué par un final somptueux signé Nate Dogg, les plus discrets Xxplosive, Big Ego’s ou encoreHousewife qui n’en demeurent pas moins efficaces dans leur registre mais aussi d’autres bombes un tantinet moins en vue mais diablement efficaces comme le très bon Fuck You, les accrocheurs Light Speed et Bang Bang et dans une moindre mesure Let’s Get High. Ce disque est aussi l’occasion d’offrir un peu de visibilité à nombre de MC’s de la côte ouest. C’est chose faite avec le surprenant Some L.A. Niggaz qui convie une flopée de représentants de la West (MC Ren, Defari, Xzibit, King T, Time Bomb, Kokanenotamment). Les jeunes pousses maison ont elles aussi droit à leur quart d’heure de gloire, un peu à l’image de la large revue d’effectif réalisée pour The Chronic. Hittman, Ms Roq et Knoc-Turn’al bénéficent ainsi de plusieurs occasions de briller. Si Ms Roq doit se contenter de jouer les utilités sur des titres comme Murder Ink et Let’s Get High, les deux autres jeunes premiers eux bénéficient des faveurs du boss. Hittman se retrouve dans la position de Snoop Doggy Dogg sur le premier set et apparait sur près de la moitié des titres de l’album (ce qui ne suffira malheureusement pas à lui offrir une carrière à la mesure de celle du chien de Long Beach). Quand à Knoc-Turn’al s’il s’avère plus discret, il tire tout de même son épingle du jeu comme il peut. Il y a peu de titres décevants au final, mais quelques fausses notes sont tout de même à noter. Ackrite apparait incroyablement faible comparé à la plupart des titres du disque. The Message quant à lui conclu bien mal le disque. Même la présence de la reine du R&B Mary J. Blige ne parvient pas à le rendre plus attrayant. Encore heureux qu’il soit situé en fin de disque.
Sept ans après The Chronic, Dr. Dre réussi donc un retour en fanfare avec un album réunissant tous les superlatifs. En dépit de quelques polémiques (notamment le rôle joué par le co-compositeur Mel-Man) et de l’habituelle médiocrité microphonique du bon docteur (on ne se refait pas), ce disque est une réussite en tous points. Le perfectionnisme de Dre a encore frappé lui permettant d’ajouter un deuxième classique à son tableau de récompenses. Ce disque préfigurera d’ailleurs un renouveau de la scène West qui reviendra sous le feu des projecteurs après une éclipse consécutive à l’effondrement de Death Row ainsi que la future émergence du clan Shady/Aftermath dont l’influence ne se démentira jamais durant toute la première moitié de la décennie. Du grand art qui ne rebutera que les amateurs de Spittin’ et autres allergiques aux sons « commerciaux » ou estampillés west coast.
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