Petite histoire de ce Photoshop pour la voix aussi critiqué qu'utilisé.
UN LOGICIEL INVENTÉ PAR L’INDUSTRIE DU PÉTROLE !
Difficile d’imaginer à quoi ressemblerait le rap en 2015 sans l’Auto-Tune. Et pour cause, il est désormais quasi impossible de trouver un album qui ne fait pas appel à ce logiciel permettant de corriger les fausses notes et d’accentuer certains effets de la voix.
Cette machine à chanter juste n’était pourtant pas destinée aux studios d’enregistrement. Son inventeur, Andy Hildebrand, n’était pas ingénieur du son mais cadre dans chez Exxon.
Au milieu des années 90 il met au point une formule mathématique, l’autocorrélation, qui inaugure un nouveau système de repérage des nappes souterraines par utilisation d'ondes acoustiques.Initialement l’Auto-Tune servait donc à déterminer si l’exploitation pétrolifère des sous-sols était envisageable !
La légende veut que quelques mois plus tard, lors d’un dîner, l’un des convives met au défi le scientifique d’adapter son invention au monde de la musique. Flûtiste et choriste à ses heures perdues, Hildebrand va prendre ce défi à cœur. Fin 1996, l’Auto-Tune naît, et dès l’année suivante il devient un outil de référence chez les ingénieurs du son.
COMMENT FONCTIONNE L’AUTO-TUNE ?
Le programme permet d’analyser les fréquences vocales, et le cas échéant de les réajuster. Pour cela il suffit de faire glisser l'enregistrement d'une voix dans le logiciel, et ce dernier repère instantanément les notes. Ensuite, chaque syllabe peut être retouchée ou corrigée pour atteindre une justesse parfaite. In fine ce mensonge numérique sonne plus vrai que nature.
La teinte métallique, cette « voix de robot qui pleure » selon l’expression du pianiste Chilly Gonzales, s’obtient en détournant le logiciel de son utilisation première. Cette tessiture aux relents surnaturels s’obtient en éliminant toutes transitions naturelles entre les notes. « Je n’ai jamais imaginé que quelqu’un de sensé ferait cela », avouera plus tard son créateur.
Quel que soit l’usage que l’on décide d’en faire (esthétique ou correctrice), l’auto-tune révolutionne le traitement de la voix par sa facilité d’accès et sa simplicité d’usage. Une fois réglé sur la tonalité désirée, le logiciel corrige automatiquement les notes.
Les instruments pour corriger la voix des chanteurs ont toujours existé, mais ils ont toujours été compliqués à maîtriser, que ce soit le Vocoder (un dispositif électronique de traitement du signal sonore - Nuff Respect de Busta Flex) ou la talkbox (un appareil qui permet de moduler un son de guitare ou de synthétiseur avec la bouche– California Love de Tupac).
Toutefois l’Auto-Tune avait pour vocation de rester un secret d’initiés, un non-dit cloisonné au monde des studios. Mais ça c’était avant Cher (ou plutôt son producteur Mark Taylor) et son raz-de-marée pop Believe. Numéro 1 dans 30 pays, ce titre sera le premier a consacré l’utilisation « apparente » de l’Auto-Tune.
LA RÉVOLUTION T-PAIN
Il faudra attendre le milieu des années 2 000, pour que le Hip Hop s’approprie pleinement le phénomène. Gloire doit être rendue à T-Pain en 2005 avec son album Rappa Ternt Sanga (« un rappeur devenu chanteur ») qui fera de lui le featuring le plus en vue du rap US pour les années à venir. On peut même le considérer comme l’un des artistes les plus influents de sa génération.
Quand Kanye West sort 808s & Heartbreak en 2008, le logiciel lui permet de se laisser aller à plus d’émotions (rupture, décès de sa mère…) en modulant sa voix sur tout le projet. Fait peu connu à l’époque, T-Pain l’assistera quasiment tout au long du projet – il apparait dans les crédits sous le pseudonyme « RoboCop ».
Plus tard Lil Wayne et Future exploreront de nouvelles contrées. Le premier en distordant sa voix dans tous les sens au lieu de rechercher un son doux et mélodique, le second en donnant cette impression géniale de rapper bourré mais dans les temps. Un peu aigri de se faire damer le pion, Pain ira jusqu’à accuser le rappeur d’Atlanta de ne pas savoir se servir correctement de l’Auto-Tune.
En France, Booba sera officiellement le premier à l’utiliser à haute dose sur l’album 0.9, même si de son propre aveu c’est Mala qui a initié le mouvement peu avant lui.
L’AUTO-TUNE EST-IL EN TRAIN DE TUER LA MUSIQUE ?
Bien sûr, comme toute innovation l’Auto-Tune a dû faire face à son lot de critiques : sa trop grande accessibilité permettrait à n’importe qui de chanter n’importe quel refrain, les flows finiraient tous par se ressembler, le vrai rap se perdrait encore un peu plus… Même Jay Z y est allé de son hymne vengeresse avec son D.O.A. (Death of Auto-Tune).
Mais au-delà de l’utilisation esthétique, c’est la fonction correctrice qui inquiète le plus. Après tout le son robotique (quoi qu’on en pense) finira bien par lasser un jour les auditeurs. En revanche c’est notre perception de la voix humaine qui risque de ne pas s’en remettre. À force de lisser à tout va, la perfection devient la norme. Enfin une certaine forme de perfection, dénuée de toute aspérité, de toute dissonance, et au final de toute émotion humaine.
À l’heure actuelle on estime que 90 % des grosses productions internationales l’utilisent ! Pire que les artistes soient au courant ou pas, les ingénieurs du son passent de toute façon leur disque au peigne fin à la recherche de la moindre fausse note. L’utilisation de l’Auto-Tune peut se faire de manière tellement fine que même un producteur ou un musicien aguerri n’est pas en capacité d’en détecter l’usage.
Le constat est un peu triste, mais aujourd’hui les Bob Marley, Aretha Franklin et autres Curtis Mayfield ne pourraient plus sonner comme à leurs glorieuses époques…
Ecrit par: Aurelien Burlet
Source: http://www.booska-p.com/
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